20 Fév 2024
La critique des sciences humaines passe à côté de la cible
«Dans les polémiques contre les sciences humaines et sociales («Geisteswissenschaften)», on tire à la chevrotine dans l’espoir que quelque chose reste accroché», avance Caspar Hirschi, professeur d’histoire à l’Université de Saint-Gall.
Qu’il s’agisse de l’islamisme, de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, de la cancel culture, des dépenses de l’État, du travail à temps partiel, de tours d’ivoire («Elfenbeintürmerei» ou de l’activisme politique, des détectives en fauteuil roulant ingénieux traquent toujours la source du mal dans les sciences humaines et sociales. […] L’image des sciences humaines qui se dégage de la campagne menée contre elles oscille entre des extrêmes qui peuvent difficilement être justes en même temps : D’une part, nous sommes censés être des joueurs de billes de verre sans influence, d’autre part, de puissants manipulateurs. Nous évoluons dans des domaines éloignés de la réalité, nous sommes des mimosas sujets aux traumatismes et nous parvenons malgré tout à prendre la société en otage avec nos théories abracadabrantes. Quelle performance spectaculaire ! […] Le fait que la critique des sciences humaines soit souvent à côté de la plaque ne signifie pas pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Leur faiblesse se manifeste déjà par le fait que presque personne n’est prêt à mener la contre-réplique pour elles. La plupart d’entre nous se solidarisent d’abord avec leur propre discipline, et comme la diversité des disciplines des sciences humaines est plus grande que partout ailleurs, nous hésitons à parler au nom de disciplines aussi différentes que l’archéologie et la linguistique appliquée. Ainsi, l’unité des sciences humaines n’existe que dans l’image déformée de leurs adversaires. […]
Mais notre tendance à l’auto-dénigrement contribue également à la faible voix des sciences humaines. Même les sommités professorales se complaisent dans le rôle d’outsiders impuissants. […] Le rôle d’outsider a le charme de la distance critique, mais il incite à la passivité. On réagit au lieu d’agir et on peut facilement se soustraire à la responsabilité d’un ensemble plus vaste. Cela vaut même pour les critiques des sciences humaines, qui sont souvent assis au milieu d’eux et parlent comme s’ils étaient des appelants solitaires dans le désert.
Caspar Hirschi regrette par ailleurs que les incitations structurelles soient axées sur de gros subsides et de nombreuses publications spécialisées. «C’est doublement fatal pour les sciences humaines. Car leur force particulière réside dans le fait qu’elles se tournent vers le public, et ce non seulement grâce à leur expertise professionnelle, mais aussi grâce à leur intellectualité critique. Cela ne nécessite guère d’argent, mais là où il n’y a pas d’argent, il n’y a pas non plus de reconnaissance dans le système scientifique actuel.»