Interview sur la liberté de la science et la mise en danger de la démocratie avec Luciana Vaccaro, présidente de swissuniversities et rectrice de la Haute École spécialisée de Suisse occidentale, et Walther Rosenthal, président de la Conférence allemande des recteur·ices d’université.
Luciana Vaccaro et Walther Rosenthal affirment que nous sommes en train de vivre une des plus grandes atteintes à la liberté académique. En Suisse, pour l’instant, l’EPFZ est la seule institution à avoir reçu un questionnaire des Etats-Unis, faisant acte de pression. En Europe, la plus grande menace actuellement est probablement de perdre l’accès à des banques de données très importantes aux Etats-Unis. Bien que les chercheur·euses réalisent des copies de ces bases, «cela ne peut pas remplacer la mise à jour quotidienne de ces bases de données», explique Walther Rosenthal. Luciana Vaccaro affirme: «Nous devons absolument devenir plus souverains. Nous devrions réfléchir en Europe, en tant que continent, à notre propre base de données, à nos propres clouds.»
Actuellement des étudiant·es et chercheur·euses d’Europe ne participent plus aux conférences qui ont lieu aux États-Unis, certain·es n’étant même pas autorisé·es à entrer sur le territoire américain. A l’inverse, des scientifiques américain·es n’ont pas été autorisé·es à venir en Europe.
Alors qu’il y a actuellement plus de demandes de candidatures en provenance des Etats-Unis, Luciana Vaccaro s’attend surtout à ce que «beaucoup moins de personnes de Suisse ou de l’UE aillent aux États-Unis». «Nous devons maintenant veiller à ce que les talents restent ici.» Pour Walther Rosenthal, l’Europe ne devrait pas «mener une guerre des talents» en s’efforçant d’activement attirer des scientifiques américain·es.
Walther Rosenthal affirme: «La science en Europe doit devenir plus attrayante. L’objectif de 3% n’est atteint que dans quelques pays de l’UE. Mais nous avons aussi trop de bureaucratie en Europe.»
De son côté, Luciana Vaccaro déclare: «Nous devons faire trois choses : premièrement, investir davantage dans la recherche, car il en va de notre souveraineté et de notre prospérité. […] Deuxièmement, nous devons protéger la liberté académique. Et troisièmement, nous devons continuer à mener une politique de portes ouvertes. 50% des professeurs des universités suisses sont des étrangers, dans les hautes écoles spécialisées, ils sont 30%. Nous avons un système de concurrence ouvert que nous devons maintenir.» Elle ajoute encore: «Le Conseil fédéral a proposé les mesures d’économie avant que la crise géopolitique ne s’aggrave. Je pense qu’à un moment où la souveraineté est globalement menacée, les réflexions seront différentes. Faire des économies aurait des conséquences dramatiques, et pas seulement pour les universités : L’économie manquerait de personnel qualifié.»
Finalement, les président·es d’université s’accordent sur l’importance des sciences humaines, alors que l’Europe ne semble «s’intéresser qu’aux disciplines techniques». Luciana Vaccaro déclare ainsi: «Le progrès le plus important du siècle dernier a été notre démocratie. Il y a cent ans, je n’aurais pu ni étudier, ni travailler, ni voter. Nous devons défendre cela. Ces jours-ci, nous voyons à quel point ces acquis sont fragiles. C’est pourquoi nous continuons à encourager fortement les sciences humaines en Suisse. L’éducation est la meilleure protection contre l’extrémisme.» Walther Rosenthal ajoute: «Je suis tout à fait d’accord. D’un point de vue global et chez nous aussi en Allemagne, de moins en moins d’étudiants choisissent ces matières. Cela me préoccupe. Pour comprendre la radicalisation politique, par exemple, nous avons besoin de sociologues et de psychologues. Et la société a également besoin d’études sur le genre, même si Trump ne veut pas l’admettre.»
- sciences humaines et sociales
- coupes budgétaires
- liberté académique
- politique – Etats-Unis
- politique – Suisse
- politique – Europe